Bilan annuel de la santé des forêts

Après avoir démarré avec la tempête Eleanor, l’année 2018 aura été celle des excès et des paradoxes climatiques en tout genre : que ce soit par ses chutes de neige inattendues, sa canicule estivale ou sa sécheresse aussi longue que déroutante (le bassin méditerranéen a été surabondamment arrosé !), 2018 a été rude pour nos forêts.

Les conséquences ne se sont pas fait attendre : favorisés par les sécheresses des étés précédents, et localement par les chablis des tempêtes hivernales, les scolytes se sont abattus sur l’épicéa commun dans l’est de la France. S’il est délicat pour l’heure de prédire les orientations sylvosanitaires de cette année qui démarre et s’il est probable qu’elle soit pour le moins difficile pour certaines essences, les capacités de résilience des écosystèmes forestiers durablement installés constituent un atout précieux en cette période critique.

Fabien Caroulle

Département de la santé des forêts

Bilan sylvosanitaire de l’année

L’année 2018 s’est ouverte sur un hiver globalement doux, abondamment arrosé et secoué par quelques tempêtes. Seul le mois de février a été plus froid que la normale. Le printemps qui a connu des précipitations abondantes mais irrégulières (sauf dans les Hauts-de-France) a offert de bonnes conditions de végétation… jusqu’à ce que se mette en place une sécheresse qui a persisté hors zone méditerranéenne de juin à fin octobre, de façon exceptionnelle dans l’Est de la France. L’automne a été très sec et chaud, pendant une période particulièrement longue. Sur le pourtour méditerranéen et en Corse au contraire, de nombreux orages estivaux et des épisodes méditerranéens automnaux ont assuré paradoxalement une abondance de précipitations qui n’avait pas été rencontrée dans cette zone depuis plus de dix ans. Du point de vue du thermomètre, 2018 a été le deuxième été le plus chaud depuis 2003, éprouvant d’autant plus la résistance des peuplements.

Dans l’est de la France, la plupart des stations météorologiques ont établi en 2018 leur record en termes de nombre de jours dépassant les 25 °C. En outre, l’année 2018 a été la plus chaude jamais enregistrée par Méteo France depuis 1900 (environ 1,4 °C au-dessus de la normale 1981-2010).

Les conditions de sécheresse ont généralement débuté vers la mi-juin. Conséquences de ce déficit hydrique combiné avec des températures élevées, les jaunissements et les rougissements précoces de houppiers (hêtre, charme, chêne, tilleul, bouleau…mais aussi sapin et douglas) se sont multipliés dès la fin juillet. Ces symptômes ont été notamment observés sur l’ensemble du massif forestier de la Harth(Haut-Rhin), dans le Jura et plus généralement sur des stations à faible réserve utile en eau, des lisières, des versants exposés au sud… Les jeunes plantations ont également été victimes de ces conditions estivales difficiles : le niveau de reprise des plantations a été médiocre, classant l’année 2018 juste derrière 2015 au palmarès des plus mauvaises années, et c’est une nouvelle fois dans l’est de la France (Grand Est et surtout Bourgogne Franche-Comté) que la mise en place des jeunes plantations a été compliquée par les conditions climatiques. Les régénérations de résineux ont également été mises à mal localement en Bourgogne Franche-Comté sur les stations filtrantes. La situation est d’autant plus préoccupante que les effets retardés des sécheresses antérieures, comme celle de l’été 2017, se font encore ressentir, et peuvent s’exprimer, comme dans les pinèdes de Drôme et d’Ardèche, par une recrudescence du sphæropsis des pins qui a profité de l’affaiblissement des arbres.

Les dégâts de neige lourde ont été nombreux et atypiques en cette année 2018 et se répartissent en plusieurs vagues de chutes :

– le 12 avril dans les Alpes, des plantations de mélèzes ont été couchées et des casses de branches ont été signalées parmi les pins noirs d’Autriche. Il convient également de noter que, suite à l’enneigement exceptionnel de l’hiver 2017/2018, quelques peuplements situés à proximité des couloirs d’avalanche ont subi des dommages ;

– le 13 mai dans les Cévennes, une chute de neige brutale et abondante a couché les jeunes plantations de mélèzes et de douglas. Les dégâts ont été d’autant plus marqués que les feuillus et les mélèzes avaient déjà débourré ;

– les 29 et 30 octobre, une importante chute d’une neige très humide dans le centre de la France (du Puy-en-Velay à Auxerre) a occasionné de nombreuses cassures de branches et de pliures de cime chez les feuillus et les mélèzes encore en feuilles. Les dommages ont été les plus marqués parmi les plantations et les gaulis.

La tempête Eleanor des 2 et 3 janvier 2018 a provoqué des chablis en général diffus dans le Grand Est, le Morvan, dans la Montagne Noire, le Jura, le Var… Les principales essences touchées ont été l’épicéa commun, le sapin, et à un degré moindre les pins… Les dégâts forestiers sont restés diffus, et ont été généralement accentués dans les peuplements qui avaient fait l’objet de travaux récents.

Les dégâts de gel tardif, survenus au début du mois de mai, ont été beaucoup moins communs qu’en 2017, le niveau général des dommages se positionnant dans la moyenne des années précédentes.

Les principaux dégâts de grêle (et de vent) ont été signalés suite aux orages de début juillet et surtout de la fin mai, au nord de Bordeaux, mais aussi dans le massif landais, l’Allier, le Lot (Gorses), le Haut-Jura, la Nièvre… Les pins ont été le plus touchés par le phénomène, avec des rougissements massifs consécutifs à l’action du sphæropsis des pins. Les dégâts des orages de juillet 2017 en Auvergne restent toujours visibles.

 

Sur épicéas…

Les tempêtes hivernales, et en particulier Eleanor, ont causé des dégâts de chablis d’épicéas diffus dans tout l’est de la France, et de façon plus disséminée dans les Alpes.

Quelques signalements concernent la rouille de l’épicéa en Savoie et en Isère sur les pessières de haute altitude, avec un faible impact sur la masse foliaire.

L’année 2018 a été marquée par une pullulation à grande échelle des scolytes cambiophages (typographe et chalcographe essentiellement) dans les

peuplements d’épicéa du nord-est de la France, en Bourgogne-France-Comté, et surtout dans le Grand Est. L’accumulation des étés éprouvants ces dernières années et les conditions climatiques à la fin du printemps puis de l’été 2018 ont été propices à l’expansion des foyers de scolytes, pour aboutir à une situation épidémique sur l’ensemble des deux régions.

Les facteurs impliqués dans le déclenchement de cette épidémie sont liés :

– aux sécheresses et chaleurs estivales qui ont sévi depuis 2015, et notamment celle de 2018, ce qui a provoqué dans les secteurs de plaine une explosion des populations, avec l’établissement d’une troisième génération de typographes ;

– aux chablis hivernaux dispersés (tempête Eleanor notamment) qui n’ont pas forcement été exploités et sortis à temps des forêts ; aux populations de typographe qui étaient en augmentation depuis quatre ans (malgré un repli en 2016 en raison des conditions printanières humides).

Les peuplements de plaine, le plus souvent issus des reboisements des années 60 et 70, sont les plus affectés par cette épidémie. À ce jour, les volumes scolytés sont estimés à près de 600 000 m3 pour Grand Est, 350 000 m3 en Bourgogne Franche-Comté et 100 000 m3 en Normandie et Hauts-de-France (Aisne en particulier). Dans les Alpes et le Massif Central, les dégâts sont négligeables, même si on assiste à une remontée des populations. Cette épidémie dans l’est de la France n’est pas un cas isolé : elle intervient dans un contexte européen similaire dans

toute l’Europe centrale. Les interprofessions de la filière forêt-bois du Grand Est et de Bourgogne-Franche-Comté sont pleinement mobilisées pour faire face à ce phénomène, alors qu’un état des lieux par télédétection est en cours, en vue de cartographier les peuplements atteints. Pour l’heure, il demeure difficile de prédire l’intensité des dommages

au printemps 2019 ; cependant, le risque de voir des arbres rougir encore au cours de l’hiver et au début du printemps prochain reste élevé. Pour le reste, les conditions climatiques de l’année seront déterminantes quant à l’évolution du niveau de dégâts des cambiophages en 2019.

Sur sapins…

Dans les sapinières des Vosges, du Jura et du Massif Central et dans une moindre mesure des Pyrénées et des Alpes, les dégâts des insectes cambiophages du sapin (scolytes Pityokteines et surtout pissode) sont en nette augmentation : il s’agit d’une tendance de fond depuis 2015 dont il faut rechercher les causes dans les tempêtes et les sécheresses de ces dernières années, 2018 compris. D’ailleurs, l’évolution des attaques de ces insectes sera particulièrement à surveiller en 2019 : en effet après la sécheresse-canicule de 2003, l’année 2004 a été particulièrement difficile pour le sapin, avec plusieurs centaines de milliers de m3 de bois scolytés. Une telle pullulation d’insectes sous-corticaux n’est doncpas impossible, vu les conditions climatiques de l’été et de l’automne 2018.

Les symptômes de rougissements de régénération de sapin, mis en relation avec la sécheresse et la canicule de 2018, se sont multipliés cette année, dans le Mâconnais, le Jura, les Pyrénées catalanes… Des facteurs biotiques opportunistes, en général des scolytes ou des Rhizosphaera, viennent profiter de l’état sanitaire défaillant des arbres pour leur porter un coup fatal.

Le sapin pectiné a souffert de chablis diffus suite à la tempête Eleanor dans le Jura, le sud de l’Alsace et le sud du Massif central.

En lien avec les difficultés rencontrées par cette essence, le gui est observé de plus en plus fréquemment dans des peuplements connaissant des problématiques de dépérissement.

Sur hêtre…

Quelques signalements d’orcheste du hêtre ont été effectués dans le grand Est, en Normandie, en Franche-Comté, en Savoie, dans les Pyrénées-Atlantiques…en général sans gravité.

Le hêtre n’a pas fait l’objet d’un grand nombre de signalements sylvosanitaires en 2018. Toutefois, des rougissements et des chutes prématurées defeuilles ont été signalés à l’issue de l’été (voire dès fin juillet en Franche-Comté), en lien avec les conditions estivales chaudes et sèches.

Des dépérissements de hêtre sont observés sur le premier plateau du Jura et la forêt de Chaux, en lien avec des contextes stationnels contraignants (sol hydromorphe le plus souvent), des sols parfois tassés liés aux passages d’engins forestiers, et une alternance de périodes de sécheresse et d’engorgement, corrélées à des épisodes de fortes chaleurs, ayant eu lieu au cours de ces dernières années.

Au printemps, des fructifications anormalement abondantes ont été relevées dans l’est de la France, tant en plaine qu’en montagne.

Des signalements épars de Phytophthora ont été effectués dans l’est de la France (Aisne, Meuse, Haute-Saône, Doubs, Vosges…) Les tests de terrain ELISA permettent une détection facilitée, fiable et rapide de ces pathogènes.

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